
La performance des entreprises publiques au Cameroun est depuis une trentaine d’année fortement remise en cause, la grande majorité étant devenue des gouffres à sous là où elles ont échappé à la fermeture simple ou au mieux à la privatisation. Certaines cependant affichent une bonne santé financière, mais dans l’ensemble cette catégorie n’a aucun effort à fournir pour la rentabilité, elles sont automatiquement nourries par des contributions obligatoires prélevées sur des salaires ou sur des transactions commerciales. Ces dernières, essentiellement des entreprises de services, peinent cependant à remplir leurs devoirs pour le bien-être des populations, alors même que les caisses régulièrement fournies font souvent l’objet des malversations de toute nature qui conduisent certains gestionnaires en prison. Dans un cas comme dans l’autre, les entreprises publiques camerounaises ont un mal en commun, celui de l’éternisation aux postes de responsabilité, qui avec le temps, installe des pratiques, des habitudes et des comportements qui laissent penser qu’elles sont devenues des propriétés privées. Pour dire autrement, certains dirigeants d’entreprises publiques détiennent des titres fonciers sur des structures qu’ils dirigent.
Quelques exemples pris au hasard, tant ils foisonnent : la Société nationale d’investissement SNI est dirigée par madame Yao Aissatou depuis 2003 soit 18 ans, la Société nationale des hydrocarbures par Adolphe Moudiki depuis 1993 soit 28 ans, le Fonds national de l’emploi par Camille Mouthe à Bidias depuis 1991 soit 30 ans, l’Agence d’électrification rurale par Ousmanou Moussa depuis 2003 soit 18 ans, la Caisse nationale de prévoyance sociale par Noël Alain Olivier Mekulu Mvondo Akame depuis 2008 soit 13 ans, le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunal Feicom par Philippe Camille Akoa depuis 2006 soit 15 ans, le bureau central des études et de recensement de la population par Bernadette MBARGA depuis 2000, soit 21 ans, pour ne citer que ces cas.
Loi foulée aux pieds
Cette éternisation aux postes de responsabilités des entreprises publiques est une preuve criarde du disfonctionnement de l’administration camerounaise, ou un simple refus de respecter les lois de la république, pourtant suffisamment claires et sans équivoque. Depuis 3 ans, le président de la république a promulgué la loi 2017/011 du 22 juillet 2017 portant statut général des entreprises publiques, une relecture de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 avec le même objet. L’article 70 alinéa 2 dit que « le directeur général et le directeur général adjoint sont nommés pour un mandat de 3 ans éventuellement renouvelable 2 fois, » alinéa 3 : « dans tous les cas, les mandats cumulés du directeur général ou du directeur général adjoint, ne peuventt excéder 9 ans », et de préciser au 4eme alinéa que « les actes pris par le directeur général et le directeur général adjoint au-delà de la durée prévue à l’alinéa 3 ci-dessus sont nuls et de nul effet ». Plus, l’article 73 précise « 1-les fonctions de directeur général et de directeur général adjoint prennent fin : au terme de l’échéance normale de son mandat, par révocation, à la suite d’une faute grave ou des agissements incompatibles avec la fonction de directeur général ou de Dga, par décès ou démission, par suite d’une incapacité permanente constatée par le conseil d’administration, par suite de la dissolution de la société, 2- en dehors du cas de dissolution de la société, la survenance d’un des cas prévus à l’alinéa 1 ci-dessus, ouvre la vacance du poste de directeur ou du directeur adjoint. »
En s’en tenant strictement aux termes de cette loi, l’on se rendra compte que les postes de directeurs généraux sont vacants dans plusieurs entreprises publiques au Cameroun, car les mandats cumulés ne doivent pas dépasser 9 ans dans tous les cas. L’article 124 de cette loi rappelle que « les entreprises existantes doivent, dans un délai d’un an, à compter de sa promulgation, se conformer aux dispositions de la présente loi » Si la loi signifiait quelque chose dans ce pays, depuis le 22 juillet 2018, c’est-à-dire un an après la promulgation de cette loi, on ne devait plus avoir une entreprise publique au Cameroun ayant un même directeur depuis 9 ans. Mais tout est resté en l’état à ce jour, même dans les structures étatiques supposées servir d’exemple du fait de leur mission de gendarme et de garant de la bonne gouvernance, à savoir la Commission nationale anticorruption (Conac) et l’Agence nationale d’investigation financière (Anif).
La première est dirigée par Dieudonné Massi Gams depuis 2011 soit 10 ans, donc lui-même occupe illégalement le poste depuis un an, la deuxième est dirigée par Hubert Ndé Sambone depuis 2005, soit 16 ans, illégal aussi. La Conac est bien classée parmi les établissements public dans l’arrêté du ministre des Finances datant du 4 mai 2020, comme établissement public de 5eme catégorie, tandis que les texte créant l’Anif prévoit que le directeur est nommé par décret du Premier Ministre sur proposition du Ministre en charge des finances pour un mandat de trois (03) ans renouvelable une (01) fois. Ici aussi le directeur occupe illégalement le poste depuis 10 ans
L’impossible retour à la normale
Qui devrait mettre de l’ordre ? est-on en droit de se demander. La loi elle-même prévoit à l’article 74 qu’en cas de vacance de poste, le conseil d’administration nomme un nouveau directeur sur proposition de l’actionnaire majoritaire, après avoir constaté la vacance bien évidement. C’est dire que pour le cas du Fonds national de l’emploi par exemple, le président du Conseil d’administration devrait réunir les autres administrateurs pour se pencher sur la situation de vacance.
Sauf que pour ce cas précisément, même le poste de président du Conseil d’administration est vacant depuis le 11 mars 2020 que le titulaire du poste, Samuel Kondo est décédé, étant déjà lui-même dans l’illégalité pour avoir occupé ce poste depuis 20 ans alors que la loi limite la durée du mandat des Pca à 6 ans. Les concernés eux-mêmes, ces directeurs généraux et leurs adjoints pouvaient remettre les choses en ordre en remettant le tablier, s’ils avaient le sens de l’honneur. Sauf que les personnes avec le sens de l’honneur font partie d’une espèce en voie de disparition au Cameroun, où on ne quitte pas la mangeoire sans y être contraint. L’impossible retour à la normale en somme. Il vaut donc peut-être mieux que chacun reste à son poste, « En attendant Godot. »
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